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mercredi 21 mars 2018

Tout le cynisme d'un coaching vengeur avec Nicolas Verdan

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Nicolas Verdan – C'est l'histoire de la vengeance d'une coach. Ou peut-être pas tout à fait. En tout cas, il faut que quelqu'un paie, que quelqu'un tombe dans le monde de requins que l'écrivain suisse Nicolas Verdan met en scène dans son dernier roman, "La Coach". Un court ouvrage avec lequel le lecteur est invité à prendre place dans la tête d'une coach d'un cynisme extrême, désireuse de régler de vieux comptes relatifs à son frère, un postier que son travail – mais est-il seul responsable? – a poussé au suicide.


La coach, c'est la Valaisanne Coraline Salamin, une femme active et peu encline aux émotions. Cette femme semble être un homme comme les autres, trouvant de quoi exercer son métier dans le monde vu comme très masculin des cadres supérieurs et dirigeants – un monde auquel elle s'est acclimatée. Cette intégration à des mondes d'hommes dominants confine à la caricature lorsque l'auteur dessine le "Prime Tower Affiliation", club réunissant une poignée de personnes de pouvoir dépourvues de tout altruisme, préoccupées de leur seul succès personnel. Le cynisme de la narratrice est encore souligné par un style froid et tranchant comme l'acier: sa voix est soigneusement recréée, au plus près du personnage et de ses humeurs.

Humeurs? Celles-ci s'expriment malgré tout, à leur manière, chez cette femme qui refuse qu'on l'appelle Coco – comme s'il ne fallait surtout pas en rajouter dans le registre des ridicules de jeunesse. Il y a d'abord les moments de solitude de Coraline, ceux où elle laisse voir ses inquiétudes, ses peurs et ses tristesses alors que face aux autres, elle montre une façade sans faille. Il y a aussi cet homme dont les mains, posées sur son corps, la font vibrer ("En résumé, Rashid me saute. Et je ne dois pas être la seule.", indique la narratrice, froidement) – alors qu'a contrario, elle vit une relation sentimentale rocailleuse avec un certain Stéphane. Enfin, les rêves, les cauchemars plutôt, sont le reflet de ses obsessions: son frère, qui s'est jeté sous les roues d'un train, y revient régulièrement. Ce qui, bizarrement (mais tant que ça, en fait?), n'empêche pas Coraline de prendre le train... où elle dort volontiers.

"La Coach" est le roman d'une femme qui, par ses conseils, pousse aux excès un manager d'une institution nommée "Swiss Post", et qui pourrait être La Poste Suisse. C'est l'occasion pour l'écrivain d'interroger certaines options actuelles des entreprises de service public, anciennes régies fédérales. Naturellement, la fermeture des bureaux de poste est mise en avant, avec les enjeux qui s'y rattachent: ceux qui tiennent à leur bureau de poste de village en soulignent le caractère social, ceux qui acceptent ou veulent la fermeture rappellent que plus personne ou presque n'écrit de lettres. Il faudrait, selon les personnages du roman, en boucler 666 – chiffre dont le caractère diabolique est l'un des ressorts, un peu tiré par les cheveux, du ridicule du responsable des fermetures, Alain Esposito. En passant, enfin, l'auteur souligne à plus d'une reprise le stress accru des facteurs, dont le travail est minuté à l'extrême, les empêchant même, dit-il, de saluer les gens et d'assumer un rôle social. 

Plus largement, l'auteur dessine assez exactement les Swiss Railways, qui pourraient être les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF). Le changement de nom, ici comme dans tous les cas où l'auteur recourt à ce procédé, permet de prendre des libertés avec la réalité sans que personne ne soit dupe des entreprises ainsi travesties. Ainsi, les quais de départ des trains de la gare de Berne ne correspondent pas à la réalité, et contrairement à ce que dit l'écrivain dans son roman, il n'y a pas de voiture-restaurant dans les trains CFF reliant Berne à Lucerne: ce sont des trains interrégionaux. Mais comme le roman ne parle pas des CFF... Et en parlant de la gare de Berne, l'écrivain dessine aussi le nouveau centre commercial Welle 7 qui a vu le jour à proximité, sur les cendres de bureaux des CFF entre autres. L'auteur étrille au passage les restaurants qui y servent du thé vert à 5 francs la tasse.

Enfin, l'auteur ne manque pas d'étriller, lorsqu'il décrit les décors de cette Suisse où se passe l'action, certains aspects déplaisants des lieux. Cela, sur des thèmes prévisibles comme l'industrialisation et les constructions anarchiques de la vallée du Rhône ou l'autoroute qui passe par Lavaux ("qui saigne le vignoble de Lavaux", dit la narratrice) et qu'on aurait mieux fait d'enterrer (mais cela aurait privé les automobilistes de la vue, disait la presse de naguère). Il en est de plus originaux aussi, comme la laideur supposée des campagnes, argumentée cependant au moyen de descriptions et de choses vues. 

A tout cela, l'écrivain ajoute ce qu'il faut de suspens pour faire de son roman un bon thriller helvétique, tendu comme il se doit, en phase avec une actualité permanente, peuplé de personnages secondaires intéressants aux rôles parfois surprenants, à l'instar de la mère de Coraline, du syndicaliste Roten ou de la vigneronne Thérèse. Cela, sans oublier le point de couleur qu'offre le personnage d'Andreas. Dédié au grand-père de l'auteur, administrateur postal à Vevey, qui a pris sa retraite en 1971, l'ouvrage indique en exergue: "Il a pris sa retraite en 1971, l'année de ma naissance. Je me demande ce qu'il penserait de tout ça." Que de changements depuis, en effet... que l'auteur restitue avec une froide acuité.

Nicolas Verdan, La coach, Lausanne, BSN Press, 2018.


Le site des éditions BSN Press.

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