Hélène Dormond – Des scènes issues du quotidien, des frictions si banales: l'écrivaine vaudoise Hélène Dormond parvient à en faire des éclats de vie remarquables dans son recueil de nouvelles, intitulé "L'air de rien". Celui-ci fait suite à deux romans originaux, "L'Envol du Bourdon" et "Liberté conditionnelle", et inaugure, aux éditions Plaisir de lire, une nouvelle collection consacrée aux textes courts.
Les lectrices et lecteurs qui se souviennent du regard aigu et original, drôle même, de l'auteure ne seront pas déçus lorsqu'ils se plongeront dans ces textes courts. Résolument d'aujourd'hui en effet, les personnages mis en scène sont autant d'alter ego du lecteur, porteurs de qualités et de défauts, de passions et de renonciations. Qu'il s'agisse d'une jeune femme qui sollicite un poste de cheffe de projet (mais sur un malentendu, ça peut marcher...) ou d'une dame d'un certain âge qui pense à sa vie de couple en demi-teinte, le lecteur y croit, l'espace de quelques pages.
Si crédibles qu'ils soient, ces personnages sont aussi portés par un style protéiforme, tout-terrain en ce sens qu'il sait s'adapter à toutes les situations mises en scène. L'exemple le plus éclatant est sans doute la nouvelle "Un vers de trop", qui oppose un rappeur et un féru d'alexandrins – leurs créations sont justement transcrites. Du coup, se demande le lecteur en les lisant successivement, l'alexandrin de Malherbe, certes un peu malmené, est-il vraiment si éloigné de la scansion des banlieues? Ou de l'un à l'autre, n'y a-t-il rien de plus qu'un dérapage? C'est ce que suggère le leitmotiv de cette nouvelle: "C'est là que tout a dérapé".
De manière plus locale, le lecteur goûtera "La malédiction du Vaudois", nouvelle dans laquelle l'écrivaine donne aux tours de langage vaudois leurs lettres de noblesse littéraire. Cela, en mettant en scène un Bolomey "bien de chez nous" placé face à un Bernois bien épais, cadre dans un bureau postal, perçu comme un intrus. Il est permis de penser que dans ce bureau postal, se rejoue le lien de sujétion qui a caractérisé, jusqu'à Napoléon Bonaparte, les relations entre Berne et Vaud. Dès lors, le discours troussé par le subordonné vaudois à l'attention de son supérieur hiérarchique vaudois sonne comme une vengeance qui se mange froid, avec l'accent. Il n'empêche: la chute ne manquera pas de surprendre...
Les relations interpersonnelles au travail sont du reste l'un des éléments récurrents de "L'Air de rien". On pense bien sûr au malentendu qui dénoue l'intrigue de "Question d'entretien", mais aussi au jeu de pouvoir qui se met en place dans "Juste fiel" ou aux rapports hiérarchiques dessinés dans la nouvelle "L'air de rien", texte aux accents policiers et liégeois qui donne son titre au recueil. Ah, justement, en parlant de Liège: il est permis de penser que les rapports humains au travail sont un tropisme pour l'écrivaine vaudoise, qui avait signé, pour le recueil collectif de nouvelles "Strip-tease" commandité par la police de Liège, une habile histoire de strip-tease exécuté au bureau face à un collaborateur supposément aveugle: c'était en 2011 et la nouvelle s'intitulait "A tâtons".
Des humains d'ici et d'ailleurs, dessinés sans esbroufe, dans le souci constant d'en dessiner l'humanité dans ce qu'elle a de plus beau ou de plus médiocre: voilà les personnages que le lecteur de "L'Air de rien" va côtoyer l'espace de quelques heures de lecture. L'écriture peut s'avérer neutre, joliment ironique ou franchement musicale, familière dans les dialogues s'il le faut: elle s'adapte à tout, fait même sienne le verbe haut en couleur d'un inconditionnel de Johnny Hallyday. Avec un sourire en coin, l'écrivaine fait ainsi jaillir, en quinze nouvelles, toutes les couleurs que recèlent la vie de tous les jours.
Hélène Dormond, L'air de rien, Lausanne, Plaisir de lire, 2018.
Le site d'Hélène Dormond, celui des éditions Plaisir de lire – merci pour l'envoi!
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