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samedi 20 janvier 2018

Une version ivoirienne du proverbe "Y en a point comme nous"

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Venance Konan – "Y en a point comme nous", dit un proverbe vaudois, pour ne pas dire suisse romand. Celui-ci paraît s'appliquer à merveille au petit peuple que l'écrivain ivoirien Venance Konan met en scène dans "Les Catapilas, ces ingrats". A écouter un narrateur qui se pose en observateur dans ce court roman, "tout va très bien Madame la Marquise", et il n'est pas forcément nécessaire de se remettre en question. Sauf que voilà: des gens venus du pays voisin, avec leurs coutumes et leur travail, viennent humblement s'installer chez eux et secouer une routine bien installée. Ce qui est gênant, c'est que les nouveaux venus, si humbles qu'ils soient, sont plus dynamiques que les anciens... ce qui les rend attachants aussi. Autant dire que si "Les Catapilas, ces ingrats", par-delà les sourires, l'ironie douce et les apparences attachantes, est surtout un roman aux ressorts tragiques.

Le narrateur est un bonhomme qui vit dans son pays depuis toujours. L'auteur lui donne un strict statut d'observateur. En somme, c'est un premier second rôle, toujours aux avant-postes pour observer celui qui fait figure de héros de ce roman: Robert. Robert, qui porte un nom de dictionnaire (et son fils est le Petit Robert, justement...) est promis aux plus hautes destinées, mais dans un système politique où l'aléatoire règne et où on n'est jamais à l'abri d'un coup d'État, tout peut arriver. L'auteur exploite à fond cette marge de manoeuvre, et le lecteur s'amuse beaucoup des coups du sort, toujours inattendus, que l'histoire réserve à Robert. Un Robert du reste apprécié pour des qualités qui n'ont pas grand-chose de politique ou de managérial, soit dit en passant: aux yeux du grand public, ses aptitudes de danseur sont plus intéressantes que son expérience dans un exécutif politique ou une administration. Alors Robert, devenir secrétaire d'Etat? Sérieux? Euh...

La position d'observateur qu'occupe le narrateur permet à l'auteur de promener un regard distant sur l'histoire. Cette distance ne masque en rien l'intérêt du récit: elle permet plutôt de la regarder avec un oeil critique, ironique même. Et du coup, pas besoin de ponctuations éclatantes: les phrases sont sages, le rythme est tranquille, suggérant qu'il n'est point besoin de prendre parti: les personnages le font à la place de l'auteur, tout naturellement.

Sagesse du style pour dire des choses folles? Il est permis d'y voir une constante stylistique, mais aussi un trait caractéristique de la narration, marquée par l'aléatoire: les meilleurs ne gagnent pas, les pires accèdent aux bonnes places, et la fatalité, plus que la raison, semble guider la vie du petit peuple que l'écrivain met en scène. Même les élections semblent obéir à des règles qui échappent au bon sens – ou, plus prosaïquement, au droit.

Et ces fameux "Catapilas", alors? Déjà présents dans d'autres livres de l'écrivain Venance Konan, ce sont les étrangers du récit, par excellence. Mais n'anticipons pas... et rappelons qui sont les autochtones. Ceux-ci, vivant dans un pays d'Afrique subsaharienne, de race noire, constituent un monde centré autour du bistrot où les tournées générales tombent comme à Gravelotte, sans que personne ne se demande d'où elles viennent. Et quand bien même cela serait, ce genre de bienfait proviendrait d'une divinité mal définie mais indéniablement généreuse. Superstition et fatalisme: telles sont les mamelles du peuple que l'auteur met en scène. Un peuple infantile? Il est permis d'avoir cette impression.

En face, ces Catapilas ont les qualités d'une immigration neuve, rationnelle et dynamique, et suggèrent une forme de darwinisme des ethnies: comme s'ils cherchaient à prouver qu'ils étaient les plus adaptés pour survivre, les Catapilas se taisent et travaillent (leur nom est un dérivé de "Caterpillar", une marque de machines de chantier), et vont jusqu'à s'approprier le plus légalement du monde ce qui appartient aux autochtones. Ils sont si discrets qu'ils ne cherchent même pas à ressembler aux Blancs, par exemple en s'éclaircissant la peau, comme le font les femmes du groupe (dominant, pour un temps encore) des autochtones. Entre ces derniers et les Catapilas, les tensions ne manquent pas de fleurir; pour le lecteur européen, il est permis de les voir comme le reflet troublé de son regard sur l'étranger qui vient le talonner silencieusement sur ses terres.

Evidemment, on s'attache au petit peuple misérable et villageois qui s'agglutine autour de Robert, ce jeune homme de cinquante ans qui profite de prébendes avec l'aval de son entourage, comme si c'était normal. Mais au plus tard lors du décès de tel personnage du clan, le lecteur s'interroge: cette équipe d'autochtones qui ne se remet jamais en question et explique par l'intervention des esprits ou de Dieu tous les contretemps de la vie est-elle bien apte à survivre à long terme? Ou les funérailles de ce personnage important, flamboyantes au-delà du raisonnable, caricaturales même (il faut l'enterrer dans un cercueil en forme de téléphone portable...) ne sont-elles pas la métaphore de l'extinction d'une certaine civilisation, qui ne trouve rien de mieux, pour sa survie, que de rappeler à l'envi la légende d'un ancien qui tua un singe d'un seul coup de poing? Répétée à plusieurs reprises, à hauts cris, cette légende apparaît comme le cache-misère d'un groupe de population qui s'éteint, confit dans un "Y en a point comme nous" qui l'empêche de se remettre en question de façon rationnelle. Et déjà, le Catapila, cet étranger qui pourrait être musulman, fait figure d'élément neuf, discret encore, mais porteur d'une vigueur qu'on aurait tort de sous-estimer. C'est ce que démontre l'écrivain, dans un style volontairement sobre: après tout, les faits, exprimés à la manière d'une quasi-dialectique, parlent d'eux-mêmes.

Venance Konan, Les Catapilas, ces ingrats, Paris Jean Picollec, 2009.

Ils l'ont aussi lu: Agnès, Per la PauSeth Koko.

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