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mercredi 11 octobre 2017

De l'ordinaire à la gloire: une famille dans l'Oisans sous le Second Empire

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Pierre Gandit – L'orage qui tue l'hiver, c'est cette intempérie impérieuse qui annonce rituellement aux habitants de l'Oisans que le printemps peut enfin commencer. C'est un moment important de l'année, alors que du côté d'Huez, en plein Second Empire, la société demeure rurale, presque inchangée depuis le dix-huitième siècle. C'est à cet instant que Pierre Gandit, maire de La Garde en Oisans, fait commencer son premier roman, justement intitulé "L'orage qui tue l'hiver". Et c'est là que le lecteur fait la connaissance du jeune Nicolas et de sa famille: les Berthon.


On passera rapidement sur la qualité discutable de l'édition de ce roman, où les coquilles restent nombreuses et où la mise en page est parfois erratique, laissant au lecteur l'impression d'un ouvrage brut de décoffrage, qui aurait mérité un bon coup de polish supplémentaire. Le souvenir qu'on préfère garder est celui d'un roman historique bien construit et solidement documenté, écrit par un homme féru d'histoire locale, un peu comme l'un de ses personnages, parti de ses montagnes pour étudier à Grenoble, la grande ville.

Certes, ce roman se déroule sur quelques semaines, correspondant au printemps de l'année 1858. L'une des grandes habiletés de l'écrivain est cependant de décrire, à partir de ce bout de saison, une vaste fresque familiale, avec toutes ses complexités et finesses, qui plonge ses racines dans l'Ancien Régime. Cela permet entre autres à l'auteur de rédiger quelques belles pages, épiques, sur la retraite de Russie: nombreux sont les soldats qui meurent, mais certains ont aussi la grande chance de revenir au pays, plus riches qu'avant peut-être, sans forcément le comprendre tout de suite. Il sera aussi question, plus succinctement, de l'Espagne ou de l'Algérie.

Ce vaste monde fait écho au territoire limité de l'Oisans et de ses villages, La Garde, Huez, etc., et à la vie qu'on y mène. En premier lieu, en créant le personnage antagoniste d'Elie Basset, l'auteur introduit une certaine cruauté, couverte par le fardeau du secret, dans les moeurs de ces contrées: adultère, prostitution qui ne dit pas son nom, rivalités et avidité. Par ailleurs, l'écrivain recrée, dans un esprit plutôt grave, la vie quotidienne dans les montagnes, rythmée par les travaux, portant parfois tout le poids de mauvais choix de vie. Pour ce faire, il ne recule pas devant l'usage d'un lexique local imprégné de patois, rendu avec justesse, explicité (parfois à plus d'une reprise) sous forme de notes en bas de page: les dialogues sont indéniablement un point fort de "L'orage qui tue l'hiver". Enfin, comme l'Oisans est un lieu de légendes à l'instar de nombreuses campagnes à l'époque, l'écrivain choisit de dérouler un fil rouge porté par une prédiction inquiétante annoncée à un Nicolas attaché à son saint patron homonyme.

Bien rendue, cette gravité est contrebalancée par quelques scènes cocasses qu'on savoure, telles que la remise de la médaille de Sainte-Hélène à une brassée de grognards vieillissants: certains sont venus à la cérémonie en uniforme de l'armée de Napoléon Bonaparte, dont le souvenir des équipées demeure vivace chez ces anciens combattants. L'auteur a dû prendre plaisir à décrire cet épisode, quasi initiatique pour certains personnages plus jeunes, et où l'on voit un préfet pris de court par les imprévus! Cela, d'autant plus qu'en arrière-plan, il parvient à décrypter les enjeux politiques d'une telle cérémonie. Dans le même esprit, on sourit volontiers à la manière dont l'un des décorés, le grand-père Berthon, qui a répondu présent au temps des Cent-Jours, vient dire ses quatre vérités au gantier grenoblois qui emploie sa fille, ainsi qu'à sa contremaître.

Regardant en arrière depuis les années 1858, c'est donc presque un siècle d'histoire que l'écrivain Pierre Gandit offre à ses lecteurs avec "L'orage qui tue l'hiver", entre la discrétion des campagnes et les éclats des guerres napoléoniennes. Si la narration est lente, elle n'en est pas moins fluide, portée par une plume qui a ses élégances. Surtout, elle est le vecteur d'un propos riche qui recrée dans ses moindres détails une époque et des lieux que l'on découvre riches, même lorsqu'il est question de la vie quotidienne dans les coins les plus reculés. C'est tout cela qu'est venu couronner le Prix Ex Libris Dauphiné, décerné à cet ouvrage généreux en 2011.

Pierre Gandit, L'orage qui tue l'hiver, Bourg d'Oisans, L'Atelier, 2011.

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