Le site de l'auteure.
Défi Premier roman.
Défi des Mille.
La romancière Katja Lasan donnera une lecture publique d'extraits de ses oeuvres le vendredi 23 juin à 20h00 à l'espace Le Phénix, rue des Alpes 7, à Fribourg (Suisse), sous l'égide de la Société fribourgeoise des écrivains.
"C'est quoi ce bordel? Je n'y comprends rien." Voilà un incipit qui annonce tout: plus précisément les bouleversements qu'un sentiment passionné peut susciter chez deux personnages que tout sépare - comme le veut la tradition de la comédie romantique. Premier roman de Katja Lasan, premier opus d'une série, "Gueule d'ange, tome 1: Alice" détaille les amours passionnées d'une bibliothécaire lausannoise, Alice Lagardère, avec une rock star française, Frédéric Pelletier. Verdict? C'est long (545 pages, et ce n'est pas fini puisque "Gueule d'ange" a un tome 2 et même un prequel, "Journal d'été d'un ado déjanté"), mais c'est bon, on ne s'ennuie guère, et surtout c'est chaud...
"Gueule d'ange" installe un crescendo dans l'expression de la passion, dans ce qu'elle a de plus physique: on s'observe, on s'allume, on s'embrasse puis l'on fait l'amour, beaucoup, en repoussant à chaque fois une limite, quitte à ce que cela paraisse répétitif. D'emblée, l'auteure, finement observatrice, installe une ambiance violemment sensuelle. En particulier, elle est à l'écoute attentive de son personnage principal, la narratrice Alice Lagardère, et des sensations qui se font jour dans son corps. Des sensations explosives, dites de manière explicite (le shorty mouillé, la boule de feu de l'orgasme, les hormones qui n'en font qu'à leur tête, l'érubescence à répétition...). Enfin, ce crescendo est l'illustration d'un jeu de séduction, annoncé très vite dans le roman.
Celui-ci magnifie à son tour, dès le début, l'objet de l'amour: Frédéric Pelletier. Il est intéressant de relever que ce personnage apparaît parfait, bien élevé, attentionné, intègre, talentueux, dépourvu en somme de défauts intrinsèques: l'auteur excelle à montrer comment le sentiment passionné d'Alice parvient à occulter ce que le personnage de Fred pourrait avoir de déplaisant. "Gueule d'ange", c'est lui: et un ange, c'est parfait! Face à lui, au moins au début, Alice, c'est plutôt "Gueule de bois"...
... une boutade qui indique qu'Alice, de son côté, voit bien ses propres défauts: elle se voit comme assez banale, volontiers coupable de ce qu'elle fait, prompte à boire des verres, et en tout cas indigne d'une vedette de niveau international comme Frédéric Pelletier. Entre Fred le parfait et Alice l'infra-ordinaire, l'écrivaine réalise un véritable grand écart, rendu crédible notamment par le fait qu'Alice, qui ne connaît guère le rock'n'roll, commence par percevoir et aimer Frédéric comme un homme normal et non comme une vedette. Les circonstances aident un peu, il faut le dire... Mais dès lors que la relation apparaît durable, quelques questions existentielles se posent: faut-il faire le choix du coeur ou celui de la raison? Certes sous-utilisé, le personnage d'Hugo (employé de banque falot, c'est le type du loser dépité face à la figure du mâle dominant alpha qu'est le charismatique Fred...) représente le camp de la raison; et le lecteur a le droit de se demander si Alice, jalouse et émotive, mérite vraiment Fred. Un Fred mûr pour son âge, qui a roulé sa bosse et qui la met en garde: la vie de star n'est pas supportable pour tout le monde...
Alors oui, le sexe tient beaucoup de place dans "Gueule d'ange", et les descriptions sont explicites et détaillées. Qu'est-ce qui distingue ce roman d'autres du même genre, alors? Il y a tout d'abord un soin réel apporté à l'entourage des deux amants: les personnages secondaires ont leur personnalité propre. On s'attache volontiers à la meilleure amie d'Alice, Johanna, ainsi qu'aux membres du groupe Dark Moon qui entourent Frédéric Pelletier: alors que le monde les connaît comme des vedettes inaccessibles, ce sont les premiers à organiser des grillades entre copains, comme tout le monde, et à s'envoyer des vannes entre mecs. Même des personnages aussi peu significatifs pour l'intrigue que la styliste Anaïs sont soignés: l'auteure s'amuse à lui donner une personnalité et un vocabulaire qui rappellent immanquablement l'exubérante Cristina Cordula.
Il convient aussi de noter que "Gueule d'ange" recrée la Suisse romande de manière crédible, y compris pour un lectorat qui n'est pas issu de cette région du monde. Le lecteur se retrouve baladé entre Epalinges, Lausanne et Vevey, voire à bord d'un bateau à l'occasion d'une soirée de charité où l'on côtoie Duja, animateur sur la radio Couleur 3 et auteur des "Ecorcheresses", ou le journaliste Darius Rochebin. On s'amuse certes au Flon, au son des musiques actuelles, ainsi que dans la colocation d'Alice; cette dernière s'avère cependant une collaboratrice consciencieuse... et ponctuelle, capable de se ronger les sangs pour un quart d'heure de retard au travail, comme il se doit en Suisse.
Enfin, "Gueule d'ange" est porté par un style résolument jeune et alerte, familier voire populaire: le divertissement est garanti, on accroche sans peine et les sourires ne sont jamais loin. Quelques tics de langage s'y font jour, comme si l'auteure avait voulu reproduire les mots privilégiés de sa narratrice. Des mots privilégiés qui dépassent parfois ceux du dictionnaire ("C'était... waouh!"), ou jouent intentionnellement sur les doubles sens grivois ("nom d'une pipe!", "foutrement...") - de quoi suggérer les rituels et plaisanteries à usage interne qui se mettent rapidement en place entre amoureux. Le lecteur s'intéressera enfin aux multiples pistes laissées par l'auteure, et qu'elle poursuit avec conséquence, le plus souvent. Sauf une ou deux, et en particulier celle de l'admiratrice anonyme, amoureuse et cinglée. Celle-ci fera l'objet du tome 2 de "Gueule d'ange"...
Katja Lasan, Gueule d'ange tome 1: Alice, JePublie, 2015.
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