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jeudi 4 mai 2017

Jean-Marie Kerwich, le livre ou le poète - ou les deux

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Le site de l'éditeur - merci pour l'envoi.

Un poète errant, un livre sans domicile fixe? C'est des deux qu'il est question dans le dernier livre du poète Jean-Marie Kerwich, "Le Livre errant". Cela, sans qu'on sache toujours bien de qui l'on parle: il est permis de se demander si le livre et le poète ne sont pas une seule et même chose au gré des proses poétiques qui constituent cet ouvrage.

"Je suis le livre errant, le livre sans auteur": ainsi se présente l'un des éléments de cet ouvrage. Ce livre, le lecteur le verra apparaître dans les rues, perdu, anonyme, largué dans des lieux immondes, sauvé d'une benne à ordures. C'est un objet qui parle au poète, vu comme une page blanche humaine: "Moi, le livre errant, je ne suis pas un poète. Je suis un arbre qui marche." De l'écrivain à la page blanche, l'auteur brouille les codes, avec délices. La vie n'utilise-t-elle pas chaque homme, chaque femme, pour y écrire un poème?

Un auteur, quand même, parce qu'il en faut bien un! Dans "Le livre errant", la présence humaine est assurée par ce récit à la première personne, incarnée par un narrateur qui porte le même nom que l'écrivain. L'auteur lui donne une épaisseur, au travers de phrases et de chapitres courts et denses. Ce narrateur, c'est un gitan, un poète errant qui se voit comme un livre, peut-être. Gitan? Le lecteur découvrira le violon qui chante, les nazis qui brûlent les livres comme les hommes ("Les déchets des poubelles m'ont beaucoup donné, ce sont des déportés qu'on va brûler", image surprenante à méditer, à observer), l'alcool qui inspire.

Et au fil des phrases, se dégage l'impression d'une liberté à la fois sereine et farouche, celle d'un narrateur qui pose ses vérités, cash, et les assume. Cela, quitte à surprendre ou à déranger doucement les certitudes du gadjo qui lit "Le livre errant": pourquoi pas l'alcool? Pourquoi morigéner un enfant qui ose la liberté en lâchant la main de sa mère?

Cette liberté va jusqu'à assumer une position paradoxale envers Dieu: le narrateur affirme ne pas y croire, mais il en parle sans arrêt. Et va, paradoxe des paradoxes, jusqu'à évoquer qu'un livre lui a valu un prix des "Ecrivains croyants", alors qu'il ne l'est pas, croyant. C'est ce qu'il dit, du moins...

"Le livre errant" est un très beau livre de proses poétiques, des proses poétiques qui sont des instantanés denses. Leur ambiance paraît certes sympathique à celui qui les lit sans trop s'appesantir. Mais il suffit de s'intéresser un peu aux phrases pour découvrir qu'en chacune d'entre elles, niche un trésor de poésie, une image qui sonne juste, une métaphore qui oblige le lecteur à changer de point de vue, à sortir doucement de sa zone de confort.

Cela, sous l'égide d'un Christ invité malgré lui, mais aussi de Rimbaud, de Ronsard et même d'Omar Khayyam, ce qui n'empêche nullement l'humilité: le livre errant aura trouvé quelques lecteurs de fortune, mais finira très humblement sa carrière. Quant à la poésie, elle doit selon l'auteur dépasser la norme, la bonne orthographe. Et il y faut un certain état d'esprit, à la fois rare et aisé, conscient du caractère fugace et important de tout écrit et de tout être. Une acrobatie qui tient du cirque, autre thème présent dans "Le livre errant"...

Jean-Marie Kerwich, Le livre errant, Paris, Mercure de France, 2017.


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