Michaël Perruchoud – Enfin! "Épimose" est ce fameux "western d'Asie centrale" auquel l'écrivain Michaël Perruchoud a consacré pas moins d'un millier de pages il y a deux ou trois lustres. Il commence à paraître aux éditions Cousu Mouche, segmenté en trois volumes. Le premier a paru au début de ce mois et il s'intitule "Errances". La suite est d'ores et déjà annoncée.
Le début a de quoi intriguer, avec son point de vue très rapproché sur des soldats qui manient la pelle. Qui sont-ils, où sommes-nous? Peu à peu, cependant, l'univers du roman se dessine, la lumière se fait. Et l'essentiel est là: un certain Daïko Sragal, roi obèse d'un royaume montagnard imaginaire, conquis à la force du poignet, dirige une cour et un petit pays, porté par une paranoïa toute stalinienne. Un émissaire anglais vient lui rendre visite...
"Errances" relate les débuts de Daïko Sragal, fils de commerçants devenu proxénète avant d'avoir envie de voir plus grand. S'il paraît abruti voire ridicule dans certaines situations (il faut l'aider pour qu'il puisse monter à cheval), c'est aussi un homme qui a du flair, cultivé, pétri de lectures qu'il interprète à sa manière, méprisant ses professeurs.
En parallèle, ce sont plusieurs groupes de populations nomades et peu amènes qui évoluent à travers l'Asie centrale au sens large, de la Turquie jusqu'aux confins ouïgours, qui se côtoient et se confrontent tout au long de ce roman. L'intrigue est en effet essentiellement pétrie de conflits et d'escarmouches, dans un monde d'hommes où les femmes semblent plus tolérées que bienvenues, mais jouent le jeu.
Âpre, "Errances" l'est assurément. En poète, l'auteur ne manque aucune occasion de dire, par les mots et par les images, la difficulté qu'il y a à vivre en fuyard ou en brigand dans un environnement montagneux où les lacs peuvent être salés, où les pentes sont inhospitalières aux hommes comme aux chevaux. Sans oublier les femmes: la maternité semble elle-même difficile à vivre, entre impératif d'avancer malgré tout, dans des marches qui poussent les personnages à leurs extrémités.
Cela, dans un monde où la mystique est omniprésente, favorisant chez certains personnages un fatalisme fondé sur des superstitions et des proverbes tout faits. Dieu, qui qu'il soit, est omniprésent dans ce que les personnages ne comprennent pas, et la foi empêche parfois la discussion qui permet d'avancer, ce que l'auteur illustre à plus d'une reprise. Qui sont les aigles qui, mystérieusement, planent sur les personnages de ce roman? Sont-ils un bon ou un mauvais présage? Et qu'est-ce qu'Épimose, après tout?
L'auteur sait dessiner de manière distinctive ses nombreux personnages. Tous ont leurs qualités et leurs défauts, voire leurs traits pittoresques à l'instar de Skolka, petit gars qui aime le sang et se cache dans un manteau militaire trop grand pour lui. Porté par le souffle épique et le lyrisme imagé qui traverse l'œuvre, le lecteur, quant à lui, se délecte de la manière dont l'humanité mise en scène par l'écrivain évolue face à l'adversité dans un monde hostile pour accéder à un idéal, même flou, sachant que ce qui est hostile dans "Errances", ce n'est pas toujours la nature, si rude qu'elle soit...
Michaël Perruchoud, Épimose, première époque: Errances, Genève, Cousu Mouche, 2024.
Le site des éditions Cousu Mouche.
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