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vendredi 23 juin 2023

Une éducation sentimentale à l'ère Facebook

Stéphanie Dupays – Comment s'aime-t-on à l'ère Facebook? Dans son deuxième roman, "Comme elle l'imagine", l'écrivaine Stéphanie Dupays développe avec finesse et exactitude les aléas et intermittences du sentiment amoureux chez une jeune femme, Laure, professeure de lettres en Sorbonne, apparemment réfugiée dans ses livres. 

Laure est spécialiste de Gustave Flaubert? Cela n'a rien d'un hasard: "Comme elle l'imagine" a quelque chose d'une "Education sentimentale" vécue au temps des réseaux sociaux, sur la base des ressentis intemporels qui constituent le syndrome amoureux: jalousie, épreuve de l'absence, peurs, étourderies, élans du cœur...

Tout débute par une rencontre en ligne, celle entre Laure et Vincent. On se met des petits pouces bleus, on commente, on discute, on visite la page de l'autre mine de rien... et hop: on est accro. La drogue paraît double: il y a bien sûr le sentiment amoureux, qui crée un besoin de l'autre, mais il y a aussi le besoin d'être sans cesse en ligne de peur de manquer quelque chose qui émane de l'autre. L'auteure réussit, avec délicatesse, à décrire cette addiction aux écrans, cette forme de nomophobie que Laure considère comme un peu honteuse.

Cela finit par devenir obsessionnel. Avec beaucoup d'à-propos, la romancière prête une certaine déformation professionnelle à son personnage principal féminin: analyste des lettres d'antan, Laure est obsédée par étude de texte et recherche constamment les sous-textes, sous-entendus et autres niveaux de lecture que son correspondant en ligne Vincent a peut-être voulu mettre dans ses centaines d'envois. Cela, quitte à y plaquer ce qu'elle veut bien y voir – et, parfois, à voir le verre à moitié vide. L'addiction, en effet, peut aussi conduire à en vouloir toujours plus...

Truffé de références aux lettres classiques, "Comme elle l'imagine" est aussi, donc, l'histoire de l'image qu'on projette sur l'autre à partir de ce qu'il veut bien montrer en ligne, quitte à être surprise au moment d'une hypothétique rencontre. Et de fait, Laure passe aussi pas mal de temps à se faire des films au sujet de Vincent. Est-ce dès lors un hasard si les références cinématographiques, plutôt intellos (Eric Rohmer, Louis Malle...) sont également présentes tout au long du roman? Et il est piquant de relever que c'est justement au sujet d'un cinéaste, le fameux Vincent donc, que Laure se fait ces films...

Et comme dans "L'Education sentimentale", vient le temps des voyages, en fin de roman, avec un chapitre rapide (le chapitre 22) qui tranche avec le caractère détaillé de ce qui précède. Ce moment charnière dans la vie de Laure lui permet de digérer la leçon vécue avec Vincent. Et c'est d'un bon pied qu'elle repart, en une fin qui est aussi une ouverture salutaire sur les autres, dans la vraie vie, sans livres poussiéreux et sans écrans qui saoulent.

Stéphanie Dupays, Comme elle l'imagine, Paris, Mercure de France, 2019.

Le site des éditions Mercure de France.

Lu par A bride abattue, Alexandra Lahcène, AurélieBenoît, Delphine-OlympeDemain je lisDomi, Florence Batisse-PichetHenri-Charles Dahlem, Irène CoulibalyJoëlleKarine FléjoLe Marque-Pages, Lily lit, Lire et vousMes p'tits lusNadège, NathNath, Nicole Grundlinger, NoIDSerge Bressan.

2 commentaires:

  1. Je pense que je passerai à côté des références aux films ayant une piètre culture à ce niveau, mais les thèmes abordés sont intéressants, surtout à notre époque où on voit surtout l'autre sous le prisme de nos écrans. Et puis, j'avoue que si je ne suis pas accro aux réseaux sociaux qui me fatiguent très vite, j'ai tendance à beaucoup analyser dans la vraie vie... Alors je pense arriver à comprendre l'héroïne :)

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    1. Bonsoir Audrey! En effet, la question de l'addiction aux trucs-machins électroniques (si j'ose le dire ainsi) est centrale dans ce court roman, avec le jeu des distances et des attractions difficilement résistibles. Donc oui, à essayer, tente le coup! Je te souhaite une bonne semaine, merci pour ton message.

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