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lundi 9 mai 2022

Aux confins de la folie, de la mémoire et du temps

Anne Denier – Une ado montpelliéraine de 17 ans rencontre par hasard un garçon ténébreux qui lui sourit, énigmatique, dans les transports publics. Plus tard, alors qu'elle se rend à la salle de bains la nuit, elle trébuche sur le chien de son frère. La gamelle est sévère: chute dans les escaliers... il n'en faut pas plus pour ouvrir quelques portes dans la tête de la jeune fille, ce qui va la conduire aux confins de l'amnésie, puis de la folie. Tel est le point de départ de "Côté face", premier roman de l'écrivaine Anne Denier. 

Relatée sur le mode fantastique à la première personne pour davantage de proximité avec le lecteur, l'existence de l'adolescente, à peine nommée d'ailleurs – est-ce Hyla? – apparaît dès lors tourmentée, avec des allers et retours temporels régulièrement imaginés. Peu exploitées dans le roman par ailleurs, les racines indiennes de la narratrice ouvrent la porte à une intégration harmonieuse du thème de la réincarnation: la narratrice semble revivre ses vies antérieures, sur un mode parasite, dans un désordre parfois déroutant, pour ne pas dire effrayant, pour celles et ceux qui l'entourent dans sa vie d'aujourd'hui.

Au fil des plus de 400 pages de ce roman qui, je l'ai découvert ensuite, constitue le début d'une saga, l'auteure revisite les thèmes et motifs du romantisme noir. Cela commence par la mise en scène de ce personnage féminin maladif, évoluant aux confins de la folie. L'idée du romantisme est du reste constamment soulignée par les nombreuses allusions à la littérature allemande du dix-neuvième siècle, de Johann Wolfgang von Goethe à Friedrich von Schiller, en allant jusqu'à Hugo von Hofmannsthal. Des citations résonnent même au fil des pages, en contrepoint poétique parfois passionné.

L'auteure campe les époques passées avec réalisme, évoquant notamment la rigueur des convenances, le douloureux inconfort des grandes robes d'antan ou la condition féminine. Se faisant judicieusement écho par-delà les décennies, en effet, les vies antérieures de la narratrice apparaissent toujours, avec régularité, comme évoluant telles des poupées sous la coupe d'un homme, Nebel. Qui refait précisément surface au présent...

Les incessants voyages rêvés dans le temps que le lecteur est invité à suivre font écho à une habitude tenace de la narratrice, qui tient elle-même à son rapport au temps: celui de toujours noter qu'elle est en avance ou en retard. De manière plus détendue, on la voit plus souvent qu'à son tour massacrer sa nourriture, à commencer par l'émiettement méthodique de clémentines en début de roman.

Avec "Côté face", relation d'une vie en mille morceaux surgis d'on ne sait où, la romancière Anne Denier entraîne son lecteur dans une vertigineuse descente aux enfers, entre vie et mort, nourrie des ombres humaines et littéraires du passé. L'impression de vertige se trouve encore renforcée par la brièveté des chapitres, qui incite à tourner rapidement les pages.

Anne Denier, Côté face, paru en autoédition, 2011. 

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