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vendredi 27 mai 2022

Amours et leurres, du théâtre pour les dépendances d'une vie

Mélanie Chappuis – Ce sont sans doute ses mains, fortes et belles, qu'on voit en page de couverture: écrivaine et journaliste, Mélanie Chappuis offre avec "Dépendances", un texte dédié à la scène. Avant d'être proposé au lectorat, celui-ci a été dévoilé au public dès le vendredi 21 janvier 2022 à Onex, près de Genève. 

Le titre est un programme: un homme (IL) et une femme (ELLE) évoquent ces liens plus ou moins pernicieux, susceptibles de ficeler les vies des uns et des autres. Deux sexes, oui, parce que les dépendances, sous toutes leurs formes, heureuses ou délétères, n'épargnent personne.

"Il ouvre les yeux sur un manque", dit la première phrase du tableau I, en incipit porteur de sens s'il en est. Ce thème du manque va donc traverser toute la pièce, comme il paraît traverser toute une vie si l'on en croit "Dépendances". L'auteure va chercher dans l'enfance et la jeunesse les besoins constants: ça part avec un doudou favori, ou avec un manque d'affection, une envie de ne plus être le souffre-douleur. Puis l'on grandit, et l'amour peut devenir compulsif (tableau IV)... La ligne de vie est ainsi la voie que suit la dramaturge.

Puis dès le tableau V, le lecteur comme le spectateur entrent dans les choses de la vie d'adulte, ces addictions qui nous sont familières, plus ou moins attendues donc: il sera question de la cigarette, de l'alcool, mais aussi des séries télévisées qu'on regard en rafale, des écrans qui invitent au porno, du jeu et de la soif d'argent. 

La fin de la pièce prend dès lors des airs de plongée dans l'obscur des liens, et les addictions évoquées semblent exposées en une forme de crescendo. Faisant parler librement "IL" et "ELLE", cependant, l'auteure évite le jugement, renvoyant le lecteur ou le spectateur à ses propres démons et à sa manière de vivre avec eux. Cela dit, en choisissant de dire les subterfuges dérisoires utilisés pour masquer les dépendances, elle crée un miroir parfaitement apte à faire réfléchir ceux qui ont l'audace de s'y regarder.

Le jeu qui s'installe entre "IL" et "ELLE" réalise une ponctuation, une musique bienvenue. Mais c'est surtout dans le gris typographique que le lecteur va trouver les clés du rythme de la pièce. Ainsi, l'auteure alterne judicieusement des éléments en vers libres plus ou moins longs et aérés et des parties rédigées en paragraphes si compacts qu'ils rappellent qu'une dépendance peut occuper toute une vie, jusqu'à en colmater les moindres recoins – on pense paradoxalement à la séquence consacrée à l'anorexie, où les mots sont si denses qu'ils semblent présents pour recréer la satiété qui manque à l'anorexique.

"Demain j'arrête", suggère enfin un chant presque final (coécrit avec Alizé Oswald), qui porte en rengaine incantatoire, de manière générale, les aspirations de libération qui hantent toute personne qui se sent dépendante. Et c'est toujours dans un esprit choral que la pièce s'achève, sur une promesse de liberté. Tenue? Il ne tient qu'à chacun et chacune de jouer le jeu.

Mélanie Chappuis, Dépendances, Lausanne, BSN Press, 2022.

Le site des éditions BSN Press.

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