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samedi 7 mars 2020

Le temps passé et les sentiments interdits

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Linda Dalles – Mêler romance et voyage dans le temps, pourquoi pas? Avec "Au-delà du temps", Linda Dalles ose le grand écart, plongeant trois lycéens de l'année 2013 – deux filles, un garçon – dans un village français vivant à l'heure allemande, en 1944. Cela, à partir d'une photo de famille jaunie découverte par Laurine chez son aïeule.


L'ambiance du chapitre 1 paraît donner le ton: l'ouvrage charriera son lot de tensions, sur fond de secrets de famille remontant à l'Occupation. L'auteure y met en scène deux personnages, Gilles et son épouse, qu'on ne reverra plus. Oublions-les! Il est plus intéressant de relever comment, par bribes, l'histoire familiale fait surface: une tante fusillée, un frère qui a vendu la mèche aux Allemands, des enfants juifs cachés. Peu à peu, tante Annette se raconte... et Laurine, Gladys et Alex se retrouvent plongés au cœur de l'histoire, propulsés dans les couloirs du temps à la faveur d'un orage.

L'auteure dessine dès lors une idylle a priori impossible entre un officier allemand, Hans, et une Française, Sibylle, institutrice de son état. Cela se dessine peu à peu, et la romancière prend son temps pour montrer ses personnages à l'œuvre. A rebours de l'imagerie classique, Hans semble avoir un cœur et paraît même aimable aux yeux du lecteur. De plus, l'auteure le décrit comme plutôt beau, insistant sur ses yeux bleu saphir, et aussi sur une blessure qui tarde à guérir, blessure physique qui apparaît comme l'écho d'une blessure intérieure, sentimentale. Autour de Sibylle, il y a une vaste fratrie, dont l'auteure observe chaque personnage avec précision pour leur donner une épaisseur, même s'ils n'ont pas tous un immense rôle dans le roman.

Les lieux clés de l'histoire sont peu nombreux, suggérant un village de France profonde, non nommé. Tiers lieu par excellence, le café est présenté comme un carrefour des relations. C'est aussi un lieu d'observation privilégié pour les trois jeunes, que le village a tout de suite adoptés malgré leurs prénoms, jugés bizarres, et leur allure peu en phase avec le vestiaire des années 1940. Signe des temps! L'auteure aurait pu jouer davantage encore avec le décalage temporel, mais elle préfère privilégier la romance, tout en se souvenant que changer le passé peut avoir un impact sur l'avenir.

Ce changement sera favorable... et favorise une fin heureuse, alors que tout laisse présager des scènes vraiment violentes, par exemple entre un Hans dont on connaît le profil et un Alphonse, frère de Sibylle, qui se trouve être résistant – sans compter le risque, encouru par Sibylle, d'être tondue à la Libération – l'auteure y pense, c'est attendu. Mais un peu d'amour et d'humanité permet de surmonter tous ces différends, pourtant lourds à la fin d'une guerre meurtrière, revanche d'une autre qui le fut aussi. Quitte à ce que l'univers décrit paraisse plus "gentil", finalement moins oppressant, que celui d'autres romans situés au temps de l'Occupation. En particulier, il est permis de trouver les Allemands décrits dans "Au-delà du temps" le plus souvent bien détendus, alors qu'ils doivent sentir, au printemps 1944, que les carottes sont cuites pour eux.

Reste que chacun des personnages trouvera en effet son compte au terme du récit, tant pour sa vie que pour ses sentiments. Les photos de famille auront changé, Gladys aura mûri (à plus d'un titre). Et c'est sur un ultime sourire que se referme cette romance atypique, voyage dans le temps et dans les sentiments interdits.

Linda Dalles, Au-delà du temps, Bruxelles, Les Bas Bleus, 2018. Réédité par So Romance.

Le site des éditions So Romance, celui de Linda Dalles. Lecture en partenariat avec SimPlement.pro.

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