Pages

mercredi 4 septembre 2019

Un serial killer dans le gros de Vaud

Yves
Yves Paudex – En voilà un roman policier atypique! "Crimes sacrés, sacrés meurtres" trouve son cadre dans les localités du nord de Lausanne, et met en scène une police à laquelle l'échec colle aux basques. Dans ces conditions, comment élucider l'étrange affaire du bonhomme découpé en morceaux puis réparti çà et là, de Lausanne au lac de la Gruyère? Et quelques autres, sans parler d'un vol de 32 000 francs à la quête? Autant de bonnes questions que l'inspecteur Valentin Rosset, diabétique à la veille de sa retraite, se pose. Succès ou échec? Le point d'orgue de sa carrière sera en mode majeur ou mineur. Et comme on aime finir sur une note positive, on imagine la pression que ça lui met. 

Pourtant, c'est tout doucement que l'enquête démarre, ou pas: faute d'indices, l'affaire traîne pendant plusieurs mois – un début surprenant pour un lecteur habitué à des débuts de polar plus vitaminés. Pour l'auteur, cependant, c'est l'occasion de mettre en scène la manière dont on appréhende le métier de policier d'une génération à l'autre. Valentin est un inspecteur à l'ancienne, façon Maigret, accordant beaucoup d'importance à la psychologie. Un peu ours, présenté comme médiocre, il a de la peine à accepter tout de suite que la jeune génération, plus scientifique et technique, peut lui apporter quelque chose, sur le ton de la complémentarité. Le personnage de Bavaud saura trouver la voie...

L'écrivain donne du monde de la police vaudoise une image terne, en somme: les enquêteurs sont constamment en butte aux difficultés d'une enquête autour de ce qui s'avère un tueur en série, et la hiérarchie se la joue solo, davantage soucieuse de gloire personnelle que de travail d'élucidation en équipe. Cela, à telle enseigne que le lecteur se demande, parfois, si les commissaires et procureurs locaux ne sont pas quelque peu complices des homicides qui surviennent soudain dans la paisible contrée vaudoise. Ce qui ne les rend guère sympathiques, il faut le dire! Lui-même ancien de la police de sûreté vaudoise, l'auteur assume de s'être librement inspiré de son vécu; le lecteur peut dès lors doucement se demander si l'organisation de sûreté est à la hauteur dans le canton de Vaud.

Cela dit, le lecteur est mis en présence d'un cas hors norme, qui plonge ses racines dans l'Italie fasciste et dans les arcanes de l'institution catholique. L'auteur recourt à des chapitres en flash-back pour dire le passé, mettant en scène l'histoire d'Italiens qui ont leur histoire, mortifiante parfois, et se sont retrouvés en Suisse après la Seconde guerre mondiale, en ces temps où la Suisse accueillait spécifiquement cette immigration de travail. Quant au côté catholique, un prêtre semble s'être perdu dans le récit, mais il apparaît comme un personnage clé. Et le christianisme, par le biais de la garde suisse, pourrait bien être l'une des clés de l'intrigue: l'affaire des meurtres survenus en 1998 au Vatican résonne dans "Crimes sacrés, sacrés meurtres". Cela, même si ce n'est pas de là que naît la violence.

En effet, c'est plutôt du côté de Sernaglia della Battaglia, un village de Vénétie, que tout part. Un patelin qui a connu le fascisme et les collaboratrices tondues à la libération – comme en France, est-on tenté de dire, tout en se demandant si cela s'est passé comme ça en Italie également. Cette bourgade et l'inspecteur Valentin Rosset, qui a des racines italiennes, devaient se rencontrer: le saint patron de la paroisse est précisément Saint Valentin. Et à ce régime, l'auteur va jusqu'à esquisser une histoire amoureuse entre Rosset et Claudine Salamin, mère d'une des victimes du tueur en série. Saint Valentin veille... 

"Crimes sacrés, sacrés meurtres" est porté par une plume des plus adroites, fine et efficace à la fois. L'écrivain n'hésite pas à jouer sur les mots afin de constituer, au fil des péripéties, des tableaux captivants. Les personnages qu'il met en scène n'ont rien de brillant, et la police renvoie en particulier une image médiocre de sa capacité d'action. Mais l'écrivain prend soin de donner une voix, un style, à chacun de ceux qui la font vivre. Et s'amuse à grands coups de jeux de mots à double sens lorsqu'il s'agit de donner la parole au patron de la boîte "Cutty Sark", présentée comme un haut lieu de la vie gaie à Lausanne.

Yves Paudex, Crimes sacrés, sacrés meurtres, Lausanne, Plaisir de lire, 2019. 

Le site des éditions Plaisir de lire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Allez-y, lâchez-vous!