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lundi 5 août 2019

La Suisse propre en ordre, façon Saint-Tin et son ami Lou

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Gordon Zola – Eh bien, c'est du propre! Voilà que le professeur Margarine, cryptozoologue éminent, a disparu. Du côté de Moulin Tsar, on s'inquiète un peu, et Saint-Tin part sans tarder à l'enquête, emmenant dans son bagage le casanier capitaine Aiglefin et l'ami Lou, perroquet sentencieux et volage. Tel est le propos de "L'affaire tourne au sale", opus 8 de la série bien connue des aventures de Saint-Tin et de son ami Lou, pastiche romanesque à peine déguisé des aventures de Tintin.


Tout commence avec la visite d'Hippolyte Buro, représentant de commerce particulièrement collant (comme un sparadrap, osons l'allusion au monde de Tintin! Il y en a d'autres dans ce roman...), au château de Moulin Tsar. Cela vaut, en guise de mise en bouche, de splendides dialogues avec Aigrefin et Alba Flore, l'inévitable (et collante aussi) écrivaine belge qui hante la vie de l'éclusier Aiglefin (qui aime les écluses, mais aussi écluser des petits canons). Mais dans les rosiers, quelqu'un veille... et Saint-Tin s'aperçoit vite, plus en tout cas que la police, que le professeur Margarine a disparu. Enlevé, sans doute!

Pour bien valoriser les capacités d'enquête de Saint-Tin, l'auteur fera intervenir les deux enquêteurs siamois bien connus, Yin et Yang en deuxième partie du livre. Mais, sortant pour le coup de l'univers de Tintin, il installe d'abord dans son récit un policier nommé Ludovic Truchot, qui a de petits airs de "gendarme à Saint-Tropez". Reste qu'il n'est pas plus efficace que son illustre modèle, ce qui offre au lecteur le plaisir d'un humour basé sur des quiproquos en cascade.

Totalement dans l'esprit de la série romanesque imaginée par Gordon Zola, "L'affaire tourne au sale" est porté par un humour tous azimuts, à la fois verbal ou de situation, allant jusqu'à jouer avec les stéréotypes, notamment ceux liés à la Suisse, passage obligé d'un roman qui construit son intrigue sur la base de la bande dessinée "L'Affaire Tournesol" d'Hergé. En Suisse, pays du propre en ordre, en effet, une affaire qui tourne au sale serait un énorme scandale! Sérieusement, l'auteur joue aussi sur la tradition horlogère helvétique pour glisser une affaire de trafic de coucous suisses à triple fond, où l'on retrouve la trace des agents Yin et Yang.

Au fil des pages, le lecteur suisse salue l'hommage que l'écrivain rend aux qualités des vins suisses, au travers d'un capitaine Aiglefin mué en dégustateur distingué et avide, inspirateur du pigiste Saint-Tin, critique de vins abstinent – ce qui renvoie à Tintin, lui-même journaliste sans article dans l'univers d'Hergé. On pardonnera à l'auteur les libertés qu'il prend avec la réalité, notamment en ce qui concerne les chemins de fer suisses: les annonces par haut-parleur n'indiquent jamais la durée des arrêts en gare, et il n'y a pas de voie R-G en gare de Lausanne, où les voies portent des numéros. Peu importe: l'essentiel, c'est que ce soit drôle! Et ça marche, y compris lorsque Saint-Tin et Aiglefin se retrouvent aux prises avec des contrôleurs. Ou qu'il est question, puisqu'on aime jouer avec les mots, d'un "la clément" chanté, aux airs furieusement lacustres.

Des jeux de mots que l'auteur lâche à tour de bras, tantôt évidents, tantôt plus subtils voire cotons, suscitant plus d'un éclat de rire. Ceux-ci sont dispersés, assez densément, sur une intrigue solide, rythmée par les cliffhangers de fin de chapitre soulignés par des rituels "? !", qui font très "bande dessinée". Elle emprunte ses points de repère les plus évidents à l'intrigue de "L'Affaire Tournesol" d'Hergé, quitte à les revisiter en profondeur dans un esprit de parodie. Il y aura donc des bris de verre, et – on l'a vu – quelque chose d'helvétique, quitte à ce que la gare de Genève-Cornavin devienne l'enseigne d'un caviste de "la Corne à vins". Une cave tenue par qui? Un certain Victor Ticoli, qui rappelle le forain A. Torticolli, qui se planque pépère dans les décors de "L'Affaire Tournesol". Le jeu de références est serré, on le voit! Mais il n'y a rien d'innocent dans tout cela... et avant même Saint-Tin et son équipée, le chauffeur de taxi qui les amène chez le caviste énigmatique en sait quelque chose.

Et bien sûr, enfin, il y a la quête des origines... question qui travaille surtout Aiglefin, héritier putatif des Romanoff, dans ce numéro de la série. Une série traversée aussi, on s'en souvient, par la propre quête de Saint-Tin en la matière.

Gordon Zola, L'affaire tourne au sale, Paris, Le Léopard Masqué, 2010.

Le site des éditions du Léopard Masqué.

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