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mardi 30 octobre 2018

Cent ans déjà: à propos du livret de l'"Histoire du soldat" de Ramuz

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Charles-Ferdinand Ramuz – Je le confesse, cela fait quelques lustres que je ne me suis plus plongé dans Charles-Ferdinand Ramuz, écrivain fondateur s'il en est de la littérature suisse romande dans ce qu'elle peut avoir de spécifique – un écrivain nobélisable, a-t-on même dit, si les anges de Berne y avaient mis du leur. J'ai eu l'occasion d'assister à une version scénique de l'"Histoire du soldat" au château de Villars-les-Moines, peut-être dans son adaptation allemande par Mani Matter. Ce devait être en 2001 ou 2002. Je n'ai pas vu, en revanche, celle du "centenaire", emmenée sur scène par Sébastien Dutrieux, qui a fait couler de l'encre ces derniers jours dans ce coin de pays. 


Autant dire que la réédition du livret de cette pièce musicale inclassable par les éditions Plaisir de Lire a été pour moi une belle occasion de revenir à quelques fondamentaux littéraires. Que Diable (c'est le cas de le dire!), revenir aux classiques est toujours un acte précieux.

Faut-il encore s'attarder sur le texte lui-même? Le relire, c'est se souvenir qu'on a affaire à une légende russe, remaniée à la manière vaudoise, avec un soldat qui sait très bien jouer aux cartes et erre "entre Denges et Denézy". Le soldat est naïf, le diable veille, troque son violon contre un livre. Séduction du monde des livres ou certitude de la musique qu'on joue soi-même? C'est le violon qui s'avère salvateur, le livre n'étant qu'un leurre diabolique. Charles-Ferdinand Ramuz ne saurait en disconvenir: clairement œuvre de poète, beau même sans musique, son livret lui-même n'est cependant autre chose qu'une musique des mots. Comme toute son oeuvre. Une oeuvre qui enthousiasme encore aujourd'hui, soit dit en passant, preuve en est le fort célinien et nouveau Suisse Marc-Edouard Nabe...

Perfectionniste, Charles-Ferdinand Ramuz n'a eu de cesse de revenir sur le livret de l'"Histoire du soldat", produisant de très longs brouillons, puis réécrivant certains aspects même bien après la première de l'œuvre, donnée au Théâtre municipal de Lausanne le 28 septembre 1918 – une première sans lendemain immédiat, la grippe espagnole étant passée par là. Les éditions Plaisir de Lire, dépositaires bien connues du trésor littéraire de Ramuz (ce qu'elles ne manquent pas de rappeler au fil des notes de bas de page), ont choisi de publier cette année la dernière version de Ramuz, modifiée en 1946. On assume qu'elle diffère de celle utilisée par les éditeurs musicaux! 

Ces questions de coulisses sont précisément abordées dans les postfaces de l'édition "du centenaire" du livret. Il y en a trois, pas moins, signées de trois spécialistes distincts, ce qui n'est pas une mauvaise idée après tout. Le lecteur "grand public" curieux, celui qui se précipite sur les notices explicatives des CD classiques pour affûter sa culture de mélomane, saluera le texte généraliste évocateur de la genèse de l'œuvre, signé de l'enseignant et conférencier Georges Schürch: avec un style enlevé, il évoque le contexte de la composition, qui fait intervenir l'artiste René Auberjonois, homme des décors, en plus de Charles-Ferdinand Ramuz et d'Igor Stravinski (régulièrement écrit "Stravinsky" dans cette édition, sans explication quant à ce choix orthographique). Georges Schürch fait aussi, et c'est à relever, une intéressante synthèse de la réception de la pièce après sa création, sur la base de la presse de l'époque: si le jeu des acteurs est salué par la critique, celle-ci se montre plus réservée pour ce qui concerne la musique: c'est du Stravinski, et en plus, du Stravinski que l'on n'attend pas.

Empruntées à des ouvrages antérieurs, les contributions d'Alain Rochat et de Philippe Girard conservent tout leur intérêt. L'écrivain Alain Rochat, en particulier, dessine précisément l'activité de Charles-Ferdinand Ramuz, écrivain hyperactif qu'il présente comme le "manager culturel" extrêmement mobilisé de l'"Histoire du soldat": il semble écrire d'une main et solliciter des soutiens de l'autre, dans un égal souci de qualité. Quant à l'homme de théâtre Philippe Girard, il décrit tout ce qu'Igor Stravinski a de singulier en son temps, qui oscille entre la tentation de la musique dodécaphonique à la Schönberg et la nostalgie du romantisme. Et il rappelle avec force le côté atypique qu'a aujourd'hui encore l'"Histoire du soldat", composition unique dans l'histoire des œuvres scéniques.

Charles-Ferdinand Ramuz, Histoire du soldat, Lausanne, Plaisir de Lire, 2018. Commenté par Georges Schürch, Alain Rochat et Philippe Girard.

Le site des éditions Plaisir de Lire, celui de la fondation Ramuz.

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