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lundi 30 juillet 2018

Dialogues et escarmouches sur la Côte d'Azur

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Abbé Joseph Guillermin – Un roman historique écrit par un prêtre: le lecteur est immédiatement averti qu'il y aura un soupçon de parti pris dans "Martyrs sur la Côte d'Azur", écrit par l'abbé Joseph Guillermin (1845-1902), dont on peut retrouver par ailleurs quelques écrits en fouillant bien sur Internet. Les éditions Parthénon ont eu cependant la main heureuse en rééditant cet ouvrage caractéristique, fondé sur des faits réels relevant d'une époque méconnue du grand public, certes dans un souci d'édification chrétienne.

Sous-titré "Première invasion musulmane", le roman de Joseph Guillermin aborde des escarmouches survenues du côté de Saint-Tropez, à la fin des années 730. Pour rappel, c'est en 732 que Charles Martel a arrêté les Omeyyades à Poitiers – ce que l'auteur rappelle aussi, quitte à grossir le trait. Quelques années plus tard, cependant, les musulmans, massés sur la paisible et prospère Côte d'Azur, reprennent confiance en eux...

"Martyrs sur la Côte d'Azur" se structure en deux parties, qu'on pourrait surnommer "paix et guerre": le début s'avère pacifique et met en avant la capacité de dialogue entre un musulman légendaire, Suleyman, face à une majorité chrétienne qui l'a accueilli. Dès lors, le fil rouge principal est la destinée de ce personnage, descendant des Omeyyades lui-même, converti sincère au christianisme et chrétiennement baptisé Tropez. Les dialogues entre Suleyman le musulman qui doute et Césaire le chrétien, opposant pied à pied, à la loyale, les arguments de deux monothéismes, s'avèrent le fruit d'une maîtrise consommée de la rhétorique de la part d'un auteur qui, quand même, prêche pour sa chapelle.

Et dès lors qu'advient la deuxième partie, relatant les razzias des musulmans sur Saint-Tropez, le lecteur est déjà convaincu. On relève avant tout, formellement, que la "Nuit terrible", celle des martyrs, est déclinée en 4 chapitres comme les 4 veilles romaines. Et face à des agresseurs musulmans présentés comme des brigands essentiellement matérialistes, il est aisé de montrer que les personnages chrétiens mis en scène par l'écrivain sont peu attachés aux richesses terrestres – et prêts à se laisser tuer sans dégainer l'épée, à l'image de ceux qui sont morts à la suite des persécutions romaines. Saint Tropez, condamné à mort sous Néron, qu'il a fallu décapiter à la main parce que les fauves l'ont épargné dans l'arène, est pour eux un exemple: l'auteur glisse d'ailleurs sa légende, peu connue, dans les pages de son roman. Dans "Martyrs sur la Côte d'Azur", elle côtoie ce qu'il faut savoir sur les premiers ermitages des îles de Lérins.

Naturellement, l'auteur utilise aussi les ressorts classiques du roman, ce qui fait que "Martyrs sur la Côte d'Azur" a parfois des airs assumés de récit d'aventures: il y a un traître, le maçon Thibaut, vu comme un Judas (p. 233), et aussi un tentateur, prénommé Tarik, qui a des traits... diablement fascinants: il séduit, enivre, et chante pour crucifier sa victime en l'envoûtant. L'auteur veut-il ainsi personnifier le caractère fallacieux de l'islam? Il est permis de le croire. Au passage, l'auteur égratigne le personnage juif qu'il met en scène (Abram l'hôtelier), suggérant qu'il se donne au plus offrant, roulant pour lui seul alors que les musulmans comme les chrétiens s'engagent pour leur bannière. Antisémitisme gratuit? Ce n'est en tout cas pas l'aspect le plus plaisant de ce livre.

L'écrivain présente la Côte d'Azur comme un lieu béni de Dieu, un paradis sur Terre – objet de convoitises, du coup. Expérience faite, force est de lui donner raison: il met en avant la douceur du climat et la beauté des paysages. Mais plus encore, il présente cette région comme un lieu de ferveur religieuse chrétienne, humble et évidente, au cœur du huitième siècle. Les personnages se montrent un brin prosélytes, et toujours convaincus de la justesse du catholicisme.

Dans un souci d'édification du lecteur et d'illustration du catholicisme, l'écrivain a su, dans "Martyrs sur la Côte d'Azur", capter un événement méconnu de l'histoire pour un faire un véritable roman historique, en en tirant ce qui est le plus favorable à sa cause. Rhéteur habile et conteur érudit dans la première partie, Joseph Guillermin s'avère aussi capable, on le voit dans la deuxième partie, de mener habilement une intrigue riche en péripéties haletantes. Et pour ce qui est du réalisme historique, l'auteur s'appuie sur des sources chrétiennes qui lui sont contemporaines, ou non, mais aussi sur ses illustres prédécesseurs gréco-latins.

Abbé Joseph Guillermin, Martyrs sur la Côte d'Azur, Dourdan, Editions Parthénon, 2015. Première édition parue sous le titre Tropez Suleyman ou les martyrs de la Côte d'Azur (1902?).

Le site des éditions Parthénon.


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