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lundi 9 janvier 2017

Un roman policier rêvé, selon les règles de Marie-Jeanne Urech

Le site de l'éditeur, celui de l'auteure.

Il y a une ville en Finlande qui s'appelle Malax, dans la région d'Ostrobotnie, à l'ouest du pays. Peut-être que la romancière suisse Marie-Jeanne Urech y a pensé; mais à l'esprit du lecteur francophone, le titre de son dernier livre "Malax" fait plus immédiatement songer au verbe "malaxer". Et c'est vrai que dans ce roman, qui est aussi son premier polar, l'écrivaine remue à pleines mains les codes du genre pour en faire quelque chose à sa manière, à la fois semblable et infiniment différent d'un roman policier ordinaire. 

Loin d'évoquer la finlandaise Malax, la ville sans nom où se passe l'action de "Malax" réunit quelques caractéristiques de localités francophones, dans un esprit ludique. Le théâtre du Salpétrin, évoqué non loin d'un hôpital Delacouleuvre, renvoie ainsi au parisien hôpital de la Salpêtrière. Les rues sont bien francophones, et le Bâtiment des forces générales emprunte son nom au Bâtiment des forces motrices de Genève, ancienne usine hydraulique devenu salle de spectacles et également nommé "Usine hydraulique de la Coulouvrenière". Un nom qui se rapproche à nouveau de celui de l'hôpital précité. Genève ou Paris? On penche pour une Genève transfigurée. 

"C'est un troupeau", commence ce roman. Une première phrase courte, lapidaire, qui donne aussi un fil directeur. On peut voir en effet "Malax" comme une sorte d'esthétique du troupeau et e ce qui peut en dépasser et doit, éventuellement, être éliminé. Ce troupeau où tout le monde ou presque porte le même prénom apparaît vêtu de noir, en complet et chapeau melon, à la sortie d'une usine. La couleur sera fatale à l'un des membres de ce troupeau: il suffit d'un rose aux joues pour mourir. Les innombrables caméras de surveillance, bergers modernes, s'avèrent incapables de capter cette couleur due aux sentiments: elles n'enregistrent qu'en noir et blanc. 

Là-dessus se greffe une intrigue policière aux apparences classiques, mais qui triture et malmène (pour ne pas dire "malaxe") plus d'un code du genre. Sans dévoiler le fin mot de l'affaire, l'arme du crime surprendra les amateurs de poisons et d'armes à feu. L'enquête s'avère compliquée par la ressemblance qui prévaut entre tous les personnages du roman: tout le monde s'habille en complet et chapeau melon et, unique coquetterie tolérée, les femmes peuvent orner leur chapeau d'une plume. Une difficulté qui peut s'avérer bien pratique si l'on sait y faire... autant dire que si Marie-Jeanne Urech choisit d'écrire un polar, c'est encore une fois selon des règles qu'elle seule a fixées, nimbées d'un onirisme familier de ses lecteurs, parent d'un certain René Magritte.

Un onirisme qui garde cependant les pieds sur Terre, par exemple lorsqu'il s'agit d'évoquer ce qui se passe dans le fameux Bâtiment des forces générales: nombreux sont les collaborateurs qui y viennent pédaler pour produire du courant, victimes de restructurations qui génèrent des coupures de courant et d'optimisations qui les font passer de vélos immobiles à des tricycles. Ainsi apparaissent les limites possibles de l'énergie électrique douce produite par l'être humain, susceptible de devenir un outil d'exploitation de l'homme par l'homme... Comme plus d'un professionnel aujourd'hui, le policier est mis sous pression par sa hiérarchie, en l'espèce au moyen d'une hypothétique médaille honorifique, ce qui permet un supplément de dramatisation du propos. Quant aux caméras de surveillance, innombrables et précises à la seconde près, elles s'inscrivent dans l'obsession sécuritaire d'aujourd'hui, et positionnent ainsi "Malax" face à l'actualité: sous ses airs surréalistes et presque intemporels, mine de rien, ce roman interroge la société d'aujourd'hui.

Un mot encore sur la postface de "Malax", signée de l'excellent écrivain Pierre Yves Lador. Elle est le témoignage nourri d'un lecteur à l'esprit affûté; et à ce titre, elle met au jour mille signes que ce roman recèle. Ce ne sont pas les mêmes que ceux que j'évoque ici, signe que le dernier opus de Marie-Jeanne Urech, si bref qu'il soit, est riche et peut être lu à plus d'un niveau, avec un bonheur inchangé. Et ça, c'est génial.

Marie-Jeanne Urech, Malax, Vevey, Hélice Hélas, 2016. Illustrations de Frédéric Farine, postface de Pierre Yves Lador.

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