samedi 16 avril 2022

Entre féminisme et religion, les coulisses d'un incendie mortel

Matteo Salvadore – Premier roman et joli coup pour le jeune écrivain Matteo Salvadore: il révèle avec "Larmes de renard" un premier roman policier solide, bien ancré dans le terroir vaudois, côté Vevey. Cet ouvrage est aussi l'occasion de revisiter certains thèmes féministes, puisque plusieurs éléments de l'intrigue trouvent leur origine dans des manifestations féminines, régulièrement organisées le 14 juin.

Voyons comment tout commence: une femme, Christiane, est trouvée morte, et un renard mort est cloué à sa porte. Il n'en faut pas moins pour que la police de district de Vevey se mette en branle. Le lecteur suit dès lors l'inspectrice Maude Colomb. En 2021, c'est sa première enquête, mais au fil des pages, on devine qu'elle a un passé qui n'a pas été de tout repos, et dont il lui reste une montre cassée, arrêtée à 12h27. Autour d'elle, il y a toute une équipe de personnages joliment campés, aux noms bizarres mais bien trouvés pour qu'ils sonnent vaudois. L'auteur se plaît à dessiner la cohésion qui règne entre eux, cruciale face aux pressions. C'est qu'il y aura d'autres mortes...

C'est la manifestation féministe du 14 juin 1991 qui rapproche les victimes. L'auteur crée ici une opposition vive entre la ville et la campagne, en l'espèce entre le village de Corbeyrier et la métropole de Genève, vue par des villageois bien peu ouverts comme un lieu où l'on se drogue et se débauche. On pense en particulier à la famille de Camille, où règne un paterfamilias particulièrement autoritaire chez lui, et respecté à l'extérieur malgré une tendance à lever le coude en terrasse. Pour l'auteur, c'est l'occasion de fonder son intrigue sur un "cold case" plutôt chaud: l'incendie de la ferme familiale de Camille.

Progressivement, l'auteur excelle à recréer l'ambiance toxique, lourde de secrets, d'un village vaudois sous emprise, hanté par la figure de son pasteur, Jef Reyfoulez, de confession réformée. Cette atmosphère se manifeste en particulier par la très forte réticence qu'ont les citoyens à répondre aux questions des policiers, à mentir ou à se défausser. L'auteur va jusqu'à décrire des comportements extrêmes, comme la fermeture de volets sur le passage des agents qui enquêtent. Genin, le policier des années 1991, s'avère lui-même mal à l'aise face à cette nouvelle enquête qui ravive une vieille histoire à la conclusion trop commode.

"Larmes de renard" relaie les questionnements qui se posent lorsqu'une bande de copines se fait éliminer, plus de trente ans après une sortie qui, si elle a été mal vue en son temps, n'appelle pas de réaction aussi extrême. Avec la police, le lecteur doute, s'interroge, imagine des hypothèses. Il s'amuse de certaines scènes, comme celle du gâteau empoisonné livré à l'hôpital à une malade ou celle de l'interrogatoire musclé de l'antique serveuse de la gargote locale – celle où trône un énigmatique renard empaillé. Celui-ci fait le lien avec la légende de Catherine Repond, dite Catillon, dite la Toudscha, brûlée pour sorcellerie en 1731 dans le canton voisin, catholique, de Fribourg.

Alors que l'on a souvent vu, dans les romans, les ambiances pesantes que peut faire naître un catholicisme omniprésent dans la vie des gens, "Larmes de renard" reprend ce climat, à peine tempéré par quelques verres de vin ou d'absinthe, en terres de Réforme. Il montre ainsi qu'aucun temps n'est à l'abri de la puissance malsaine d'une pratique religieuse, quelle qu'elle soit, exploitée comme outil de pouvoir. En face, le féminisme apparaît comme un vecteur de liberté – et l'on s'attache aux quatre jeunes manifestantes, sillonnant avec insolence la région d'Aigle (presque la ville, tiens, avec ses quelque 10 000 habitants...) les cheveux au vent, à bord d'une voiture décapotable jaune.

Matteo Salvadore, Larmes de renard, Lausanne, Plaisir de lire, 2022.

Le site des éditions Plaisir de lire.

2 commentaires:

  1. Encore une découverte , j'aime beaucoup ce genre de lecture merci pour le partage Fattorius =)

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    1. En effet, Tay - c'est un premier roman bien fichu. Et le monde du polar suisse recèle quelques jolies choses, à l'instar de celle-ci.
      Je te souhaite le meilleur! :-)

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