vendredi 28 janvier 2022

Des racines et des ailes, genèse d'un envol

Dalie Farah – Une histoire drôle, "Impasse Verlaine"? C'est ce que suggère l'incipit de ce roman, le premier de l'écrivaine Dalie Farah. Mais au fil des pages vives et colorées, puissantes même, de cet ouvrage qui relate une enfance et une jeunesse vues de l'intérieur, relatées par une narratrice qui pourrait être l'auteure, le lecteur s'aperçoit que c'est quand même un peu plus compliqué.

Voyons le cœur de l'intrigue: "Impasse Verlaine" raconte les premières années de vie d'une Algérienne de seconde génération, née de Vendredi, femme algérienne au tempérament marqué qui a suivi son mari en France et est devenue mère à 17 ans. Dès lors, la narration a pour fil conducteur la description de la relation complexe entre la narratrice – la fille, donc – et Vendredi. 

Elles est ambivalente, cette relation: elle est marquée par la violence maternelle, une violence qui ne recule devant aucune taloche, ni envoi d'objets à la figure. Pourtant, dès lors que le lien de sang apparaît conscient, la narratrice exprime de l'amour face à cette génitrice, un amour qui confine parfois à la dévotion. Ce qui n'empêche pas d'avoir envie de prendre ses distances, par exemple en réussissant son bac pour trouver la bonne distance, s'émanciper enfin...

La violence qui marque le milieu familial fait écho à celle que la narratrice peut subir dans le monde scolaire. La narratrice relève par exemple la dynamique de confrontation qui s'installe d'emblée entre elle, vue comme une intruse d'emblée, et les filles qui hantent le lycée où elle terminera sa scolarité secondaire. Violence féminine, donc... Et côté mecs? Personnage masculin majeur, le père de la narratrice paraît finalement effacé, absorbé par son métier dans la construction, voire dépassé, incapable qu'il est de cuisiner quelque chose de comestible, mais incapable aussi de reconnaître son échec.

"Impasse Verlaine" est aussi le roman d'une fille qui, au fil des années, cherche sa place dans une société qui ne l'attend pas. La narratrice est certes fille de la terre algérienne, celle où elle plonge ses racines, et ce n'est pas pour rien que le roman insiste sur le thème de la terre en ses premières pages, qui évoquent justement l'Algérie de Vendredi: des poules qui grattent la terre, ou cette terre où Vendredi se roule dans sa propre enfance. 

Mais c'est la culture française, acquise sur le terrain de Clermont-Ferrand, qui va donner des ailes à la narratrice – celles de l'évasion, de l'émancipation aussi, par le biais des livres en particulier, mais aussi, d'emblée, par la possibilité de se positionner comme celle qui sait: la narratrice relate toutes ces situations où, alors qu'elle n'a même pas dix ans, elle explique les formulaires de l'administration à sa mère analphabète et étrangère à la culture administrative française.

Humour? Comme le dit l'expression consacrée, celui-ci peut certes être vu comme la politesse du désespoir. Mais c'est mal connaître la narratrice, qui refuse de se laisser enfermer dans ce désespoir et dans l'impasse d'un statut de victime permanente d'un contexte violent. Dès lors, l'humour apparaît plutôt comme l'arme de celle qui se bat tout au long de sa jeunesse, qui prend du recul face à ce qu'elle vit et en tire immanquablement la matière pour tracer sa propre voie. Il apparaît aussi comme une invitation faite au lecteur à rire avec l'auteure et avec la narratrice des avanies passées.

Dalie Farah, Impasse Verlaine, Paris, Grasset, 2019.

Le site de Dalie Farah, celui des éditions Grasset.

Lu par Aires libres, Cerise 74Laurent Bisault, Livres AddictStemilou, Violette.

2 commentaires:

  1. Un livre que j'ai envie de lire depuis un petit moment. En réalité, depuis ma lecture de son dernier roman, "Le doigt", qui m'avait beaucoup marquée.

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    1. Bonjour! Oui, c'est précisément en rédigeant ce billet que j'ai découvert l'existence de ce nouveau roman, "Le Doigt". Je garde le titre en mémoire - merci à toi de l'avoir rappelé!
      Bonne journée à to!

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