vendredi 12 avril 2019

Entre l'époque et les arts, Léonard de Vinci

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Francesco Fioretti – On fête cette année les cinq cents ans de la mort de Léonard de Vinci. Autant dire qu'il va défrayer la chronique culturelle! L'écrivain italien Francesco Fioretti, auteur de romans historiques tournant autour d'artistes fameux de la Péninsule (Le Caravage avec "Dans le miroir du Caravage", Dante avec "Le Livre secret de Dante"), revient ainsi avec "Le livre perdu de Léonard de Vinci". Un livre perdu qui pourrait être toute une bibliothèque! Ce roman constitue un gros plan sur un génie universel que tout le monde connaît, mais souvent bien mal au-delà des clichés convenus. Et aussi sur un contexte historique: celui du nord de l'Italie au début du seizième siècle.


C'est en premier lieu le Léonard de Vinci artiste que l'écrivain met en avant: ses créations picturales, souvent des œuvres de commande, constituent l'élément central de Léonard de Vinci. Se fondant sur une abondante bibliographie ainsi que sur les écrits de l'artiste, l'auteur réussit à se mettre dans sa tête et à recréer ses impressions face à ce qu'on lui demande de faire. Des impressions mêlées: d'un côté, il y a l'ennui que suscitent de banales commandes de portraits, et de l'autre, il y a l'envie de se colleter à la difficulté, quitte à ce que cela prenne un temps énorme, difficile à défendre.

Si l'auteur révèle les états d'âme, en effet, il excelle aussi à mettre en avant les innovations techniques de Léonard de Vinci en matière de peinture, par exemple l'utilisation de la peinture à l'huile pour les fresques, par exemple pour peindre sa "Cène". Il recrée aussi un Léonard de Vinci qui observe ses semblables, sans cesse désireux de trouver un modèle pour un Christ ou un Judas. Enfin, sans trop abuser, le romancier se permet d'analyser certains tableaux, de Vinci ou d'autres – l'ouvrage évoque les mémoires de Piero della Francesca ou de Michel-Ange, entre autres. C'est dans ces œuvres, en effet, que l'on trouve quelques éléments porteurs du "Livre perdu de Léonard de Vinci".

Si l'artiste recherche un livre, en effet, il est aussi à la recherche de solutions à quelques énigmes mathématiques qui le mèneront à son but. Pour le coup, l'auteur montre un autre visage de Léonard de Vinci: celui d'un homme pas forcément calé pour les maths, mais curieux et tenace lorsqu'il s'agit de trouver une solution à un problème. Cela, par la raison; mais aussi en admettant un côté surnaturel, ésotérique, aux lois des nombres et de la géométrie: il n'est qu'à penser aux "carrés magiques" ou aux propriétés de l'"éicosiexaèdre", solide à 26 faces. Tout cela amène à la recréation des réflexions des esprits forts de l'époque, tendues entre la religion chrétienne et la philosophie grecque (Platon ou Aristote), qu'ils tentent de concilier.

Et oui: les guéguerres et des alliances entre les villes du nord de l'Italie (Milan, Florence, Urbino, Venise) sont un contexte complexe, et l'auteur le restitue avec exactitude. Cela, quitte à ce que cela paraisse peu évident à suivre, au gré des alliances volatiles qui symbolisent un monde politique instable où, depuis, le royaume de France intervient à son gré à la manière des très grandes puissances actuelles. Ce monde, c'est aussi celui où évolue Léonard de Vinci, mandataire des puissants: il sera question des Borgia bien sûr, mais aussi de quelques grandes familles italiennes dont les noms s'avèrent familiers – Orsini, par exemple, pour n'en citer qu'une. L'auteur rappelle ainsi que Léonard de Vinci, si génial qu'il ait été, a aussi été tributaire d'un contexte historique.

Cela étant dit, quel roman Francesco Fioretti offre-t-il à ses lecteurs? "Le Livre perdu de Léonard de Vinci" est une création solide et efficace où arts et sciences se frottent. Il s'agit d'un roman à énigmes, porté par les interrogations que peuvent susciter certains mystères mathématiques, éventuellement portés par les œuvres d'art de l'époque, qui invitent ceux qui les regardent à faire appel à leur raison sans faire taire leur émotion. Et mine de rien, par le biais des morts qui jonchent le parcours de Léonard de Vinci, par le biais des traîtrises, des assassinats mystérieux et des amitiés de circonstance, on peut aussi distinguer dans ce livre quelque chose d'un roman policier. Et pour donner un côté sympathique et cordial au roman, l'auteur affuble Léonard de Vinci d'un assistant, Salaï, dessiné en kleptomane aux appétits sexuels marqués, et suggère que le génie fameux a peut-être eu un fils.

"Les faits authentiques que nous rapportons dans ce roman sont nombreux, et ceux inventés le sont tout autant, même s'il n'est plus possible, hélas, de démontrer qu'ils sont faux.", rappelle l'auteur dans sa préface. Face au lecteur, il assume ainsi son œuvre de romancier érudit qui éclaire avec justesse les zones d'ombre d'une histoire, visant à un réalisme des possibles.

Francesco Fioretti, Le livre perdu de Léonard de Vinci, Paris, Hervé Chopin, 2019. Traduction de l'italien par Chantal Moiroud.

Le site des éditions Hervé Chopin.

2 commentaires:

  1. Salaï apparaît souvent aux côtés de L de V : il n'a donc aucune consistance historique ? merci pour cette analyse qui donne envie d'en lire plus ! et les Dante et Caravage également, figures qui m'interpellent

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    1. Dans ce roman, Salaï apparaît effectivement un peu à l'ombre de Léonard de Vinci; cela offre à l'auteur une certaine liberté pour traiter le personnage avec esprit. Oui, ces romans valent la peine d'être découverts!

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