jeudi 5 avril 2018

Entre la vie et la mort, les poèmes faussement monotones du veilleur

1313949_f.jpg
Georges Haldas – Le poète genevois Georges Haldas (1917-2010) fait sans aucun doute partie de ces écrivains qui ont marqué les lettres de Suisse romande. Sa destinée d'écrivain est liée aux éditions L'Age d'Homme, qui ont réédité tout dernièrement ses "Poèmes du veilleur" dans leur collection "Poche Suisse". On notera avec un certain sourire que les poèmes de ce recueil ont été publiés après celle de "Ma poésie complète", recueil intégral des œuvres poétiques de l'écrivain – rendant ipso facto cette intégrale incomplète. Mais n'est-ce pas le fait d'un poète que d'être définitivement, irrémédiablement libre? Plutôt que de questions éditoriales, voyons ce que le livre a dans le ventre.


"Je descends lentement/l'escalier de la mort"... en deux vers, le ton est donné, l'ambiance est là: les "Poèmes du veilleur" sont l'œuvre d'un homme qui voit venir sa fin prochaine. A l'aune du recueil, cela dessine deux lignes fortes: celle du souvenir et celle de ce qui viendra après la mort. L'auteur consacre donc des poèmes à des émois anciens, à des détails d'une vie. Et ce qui viendra après admet avec confiance qu'il y a une transcendance: Dieu est présent dans les vers du poète. Le tout apparaît comme une vision en surplomb: celle du veilleur, précisément, perché par exemple dans son phare.

Force est de constater que la première impression du lecteur de ce recueil, surtout s'il n'est pas attentif, peut être celle d'un relatif ennui, d'une monotonie trop commode pour être honnête, de la part de l'écrivain. Celui-ci s'installe en effet dans le confort de poèmes structurés par des hexasyllabes, et ce, sur 224 pages! Alors que la poésie s'exhibe aujourd'hui en minces plaquettes, il est permis de se demander, lorsqu'on ouvre les "Poètes du veilleur", si le poète genevois va tenir la distance. Et au fil des pages, l'on a envie de répondre par l'affirmative: après tout, certains poèmes sont structurés en strophes, les longueurs des poèmes sont variables...

Bien vu, justement! L'auteur assume la force structurante d'un vers, tout au long d'un recueil, mais s'autorise de petits écarts qui, du coup, prennent une force particulière. Hexasyllabes, ai-je dit? Certains vers sont plus courts, d'autres plus longs, çà et là, laissant au lecteur l'impression marquante d'une rupture qui intrigue. Que dire, par ailleurs, de ces vers au rythme incertain, qu'une diérèse ou une synérèse bien articulée (ou pas) suffit à faire basculer dans le camp de la régularité ou de l'irrégularité? Le jeu est subtil, et gageons que le poète laisse au lecteur le soin de trancher, en fonction du sens, conventionnel ou non, qu'il veut donner à ce qu'il lit.

Le souci de la forme qui dirige le lecteur et lui dit quelque chose va plus loin. L'auteur raréfie la ponctuation, et du coup, les points d'interrogation qu'il distille çà et là suscitent un puissant accent d'inquiétude ou d'incertitude. Et pour guider le lecteur, le poète fait un usage judicieux des majuscules. Quant à la versification, sous son côté régulier, elle a ses glissements: il arrive fréquemment qu'un hexasyllabe déborde sur son semblable suivant; dès lors, une majuscule suggère la syncope glissée dans la musique sereine des vers. Il arrive même que les sons soient complices de la musique voulue par le poète, par exemple avec l'omniprésence du son "u" dans "Air de flûte": comment ne pas entendre la flûte en lisant ces quelques vers?

Il est donc hors de question de se laisser aller à une lecture superficielle de ce long recueil! Certes, il y a de quoi être bercé par des vers aux apparences faussement régulières qui disent la vie partie et la mort à venir. Il convient par ailleurs de préciser que ce recueil recèle des poèmes écrits par un auteur presque aveugle, à la calligraphie difficile, reconstituée entre autres par Catherine de Perrot-Challandes, compagne des dernières jours de Georges Haldas. Ainsi restitués avec finesse, tous ces poèmes recèlent quelques pépites qui invitent à ralentir sa lecture et à se montrer attentif.

Georges Haldas, Poèmes du veilleur, Lausanne, L'Age d'Homme, 2018. Postface de Catherine de Perrot-Challandes.



Egalement lu par Jean-Michel Olivier.

2 commentaires:

  1. "On notera avec un certain sourire que les poèmes de ce recueil ont été publiés après celle de "Ma poésie complète", recueil intégral des œuvres poétiques de l'écrivain – rendant ipso facto cette intégrale incomplète. Mais n'est-ce pas le fait d'un poète que d'être définitivement, irrémédiablement libre?"

    Cette remarque est tellement belle ! J'étais obligée de te citer.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Wahou, c'est beaucoup d'honneur! Merci pour ce commentaire enthousiaste! :-)

      Supprimer

Allez-y, lâchez-vous!