samedi 12 août 2017

Alain Blottière, un rêve de part et d'autre de la Méditerranée

reveurs


Deux jeunes hommes que tout sépare: Goma l'Egyptien et Nathan le Français. Pourtant, tout les rapproche sous la plume de l'écrivain Alain Blottière, dans son roman "Rêveurs". Il y a beaucoup de talent dans ce roman à l'impeccable construction, observé avec une grande finesse, parfaitement en phase avec l'actualité de son temps (il a paru en 2012 chez Gallimard).

C'est à Nathan qu'il appartient d'ouvrir les feux de ce roman à deux points de vue. Nathan, le lycéen d'Issy-les-Moulineaux, choyé par son père, fanatique de jeux vidéo, de jeu du foulard et du rêve indien, qui lui font voir des mondes parallèles, faute de vraiment trouver sa place dans la France d'aujourd'hui. Le jeu du foulard est un jeu d'étouffement dangereux, censé apporter une conscience supérieure, rêvée justement; de même, et d'entrée de jeu, le lecteur est plongé dans un récit aux paragraphes longs et compacts, et se retrouve comme en apnée dans "Rêveurs".

Face à lui, et il aura le dernier mot, il y a donc Goma. D'un âge analogue à celui de Nathan, il rêve justement de France, synonyme d'un avenir meilleur pour lui-même. C'est le parfait candidat à une de ces hasardeuses traversées de la Méditerranée dont la presse parle constamment. Sa vie télescope les événements révolutionnaires de la place Tahrir et de la chute de Hosni Moubarak, relatés de façon réaliste par un écrivain qui partage justement sa vie entre la France et l'Egypte.

Et il suffit que Nathan fasse un voyage en Egypte avec son père et sa copine pour que deux mondes se rapprochent, tout par hasard, à travers ces deux personnages.

Deux rêveurs, Nathan et Goma! Mais aussi deux représentants malades de sociétés malades. Pour Goma, le monde, c'est les quartiers populaires du Caire, les policiers qui ne rigolent pas, les petits boulots synonymes d'esclavage, l'impossibilité d'une vie sexuelle alors que celle-ci semble facile en Europe: là-bas, pour lui, les filles sont des prostituées gratuites, pour ainsi dire. En face, Nathan est l'archétype de l'Européen gavé, blasé, obsédé par la propreté, aux tendances suicidaires morbides (les jeux d'étranglement sont montrés comme un flirt avec la mort), parangon d'un continent las.

Côté formel, tout est fait pour indiquer à la fois ce qui sépare et ce qui rapproche Goma et Nathan. L'une de techniques les plus manifestes consiste, pour l'auteur, à élaborer des phrases qui commencent avec l'un des personnages et s'achève avec l'autre, sans ponctuation. Il en résulte une impression réussie de fondu enchaîné entre des séquences de quelques pages, se concentrant tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre des personnages. Et si l'auteur excelle à montrer tout ce qui est différent dans les cadres de vie de Goma et Nathan, il parvient aussi, par de multiples allusions qui créent un impressionnant jeu d'échos, à montrer ce que leurs existences peuvent avoir de semblable. De quoi surprendre le lecteur, avec des aspects pourtant a priori évidents.

Enfin, l'auteur sait mettre le doigt sur certains aspects bien concrets, y compris sentimentaux, afin de donner vie à son récit et d'en faire un élément attrayant pour son lectorat. Le lecteur appréciera ainsi l'humanité insoupçonnée de Goma, qui veille sur un de ses compatriotes tué lors des manifestations de la place Tahrir, ce qui pourrait suggérer une tendance homosexuelle impossible à assumer. Et en face, il sera trompé par la figure de cette belle fille rousse en tenue de bain blanche translucide qui fait de l'oeil à Nathan à la piscine (mais des filles comme ça, entre nous, ça n'existe que dans les livres...), lui-même encombré par les invites de Raph, un collègue de lycée homosexuel qui ne sait pas se tenir et le met mal à l'aise en touchant, peut-être, une identité sexuelle qui est encore en train de se construire.

"Rêveurs" est le roman formellement réussi et porteur d'émotions d'une jeunesse qui se cherche, de part et d'autre de la Méditerranée. En phase avec une actualité précise, marqué par une époque, il suggère aussi que si différentes que soient les personnes, il y a toujours quelque chose de commun entre elles. C'est ce qu'on appelle le rêve, mais aussi, sans doute, l'humanité.

Alain Blottière, Rêveurs, Paris, Gallimard, 2012.

2 commentaires:

  1. Le texte, bien qu'ancrée dans un contexte précis, n'a pas vieilli.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En aucun cas, pour le coup! Même, il résonne encore. Bon dimanche à toi!

      Supprimer

Allez-y, lâchez-vous!